Quelles stratégies d’influence pour quelles entreprises ?

Six experts de l’influence témoignent

A l’occasion de l’édition 2018 du Com’ en Or Day, rendez-vous annuel des professionnels de la communication et du marketing à Lille, j’ai eu la plaisir d’animer la table-ronde sur le thème “Quelles stratégies d’influence pour quelles entreprises ?”. Six experts et acteurs du marketing d’influence apportent leurs éclairages et retours d’expérience pour répondre à cette question, exemples à l’appui. Replay et synthèse des interventions.

Les micro-influenceurs pour plus d’engagement

Guillaume DOKI THONON, fondateur de REECH, agence conseil et plateforme de mise en relation entre marques et influenceurs pour accompagner leur stratégie.

Reech a publié l’étude “Les Influenceurs et les Marques en 2018″, qui présente les différents profils d’influenceurs, leurs pratiques et dresse un état des lieux des modalités de collaboration avec les marques. Les résultats mettent en évidence une  montée en puissance certaine mais encore peu maîtrisée du marché, loin du niveau de maturité des autres pratiques en marketing et communication. Il en ressort que les influenceurs sont de plus en plus sollicités, de plus en plus tôt dans leur “histoire d’influenceur” (entre 0 et 2 ans d’activité en blogging et sur les réseaux sociaux) et de plus en plus jeunes (plus de la moitié ont entre 19 et 30 ans). Une grande majorité des influenceurs le sont par passion et n’en font pas leur activité principale, d’où une difficulté à formaliser les conditions de rémunération.

En effet, l’intérêt des influenceurs pour le produit/service, d’une part, et la relation de confiance avec leurs followers et fans, d’autre part, sont leurs premières motivations. Face à cette rupture du modèle traditionnel de promotion (achat d’espace contre visibilité), les marques sont en manque de repères sur la valorisation des partenariats, voire ont tendance à les sous-évaluer. “Ce sont avant tout des passionnés, qui souhaitent être considérés et reconnus comme experts dans leur domaine. D’ailleurs la plupart des personnes avec lesquelles on travaille n’apprécient pas d’être juste cataloguées en tant qu’influenceurs” confirme Guillaume Doki Thonon.

D’une approche historiquement centrée sur les influenceurs à très forte audience, assurant un reach important, les marques s’orientent désormais davantage sur les micro influenceurs (communautés de 1 000 à 10 000), plus efficaces en terme d’engagement. Leur forte affinité et leur proximité géographique avec leur communauté en font des interlocuteurs de référence et légitimes, qui générent un fort taux d’adhésion et de transformation.

Guillaume Doki Thonon a partagé quelques données clés sur les influenceurs en region Hauts-de-France, issues de la base Reech :

Les influenceurs en région Hauts-de-France (source: Reech)

 

Audience des influenceurs en Hauts-de-France (source : Reech)

Découvrez également la keynote de Guillaume DOKI THONON sur la question “Que faire avec les influenceurs ?” :

La strategie d’influence ne s’improvise pas

Bruno MIGNOT, fondateur de Bruno Mignot consulting, est Président de l’European Security Business School, ancien Directeur adjoint du Centre d’Études Stratégiques Aérospatiales. Il conseille et forme les entreprises en marketing d’influence et enseigne la stratégie et l’intelligence économique dans les grandes écoles.

Comme pour toute stratégie, Bruno Mignot rappelle que l’influence ne s’improvise pas. Les opérations d’influence peuvent être conçues et mises en oeuvre par une méthode rigoureuse, adaptée par exemple de la planification opérationnelle enseignée dans les armées occidentales.

Pour ne rien oublier en stratégie d’influence, cette méthode doit viser un “changement d’état” souhaité et être évaluée par des indicateurs ad hoc (KPIs ou MOP – Mesures Of Performances et MOE – Mesures Of Effectiveness). Elle doit aussi intégrer la relation gagnant-gagnant entre la marque et l’influenceur. Enfin, Bruno Mignot insiste sur le fait que l’influenceur n’est qu’une partie du plan, le maillon d’une chaîne de valeur globale, d’une culture et de pratiques partagées par tous les acteurs de l’organisation : “L’influence d’une organisation ou d’une marque est un tout. Et n’oublions pas qu’au-delà de notre existence digitale, nous sommes avant tout des personnes. La vie réelle existe toujours“.

Retrouvez la keynote de Bruno MIGNOT “Une méthode adaptée pour la stratégie de marketing d’influence” :

Bruno MIGNOT est l'auteur du "MARKETING D'INFLUENCE - Stratégies au quotidien pour le chef d'entreprise" (L'Harmattan).

Les dirigeants, premiers influenceurs de leur marque

Julien CARLIER, fondateur et CEO de Social Dynamite, accompagne les marques, les événements, les dirigeants et collaborateurs à devenir des médias. Social Dynamite édite également une plateforme d’influence collective dédiée à la diffusion des contenus.

Il présente les influenceurs comme des accélérateurs de la mutation des médias. Ces derniers n’ayant plus le monopole de l’information, les influenceurs sont appréciés par les marques à la fois en tant que producteurs et aussi diffuseurs de contenus qualitatifs, très ciblés et plus rentables que les médias traditionnels.

Il en est de même pour les collaborateurs, potentiellement premiers ambassadeurs ou détracteurs de leur entreprise, qui sont habitués à s’exprimer sur les réseaux sociaux dans le cadre de leur vie privée. Mais l’employee advocacy ne se décrète pas : “Elle nécessite l’exemplarité et l’authenticité des codir, une acculturation et un accompagnement des équipes dans l’utilisation et la prise de parole sur les médias sociaux dans un contexte professionnel. Le premier réservoir de l’influence est en interne, encore faut-il avoir une démarche intéressante et non intéressée vis à vis de ces publics pour les impliquer“.

Retrouvez la Keynote de Julien CARLIER présentant “3 secrets pour réussir sa transformation médiatique avec son CoDir” :

L’influence : une question de contenu et de connexion interne/externe

Raymond MORIN est consultant, auteur et blogueur en marketing numérique et d’influence (www.raymondmorin.com)

Selon Raymond Morin, pour être efficace sur le long terme, la relation entre une marque et un influenceur doit s’aligner sur les tendances actuelles de la relation client. Par exemple, coproduire les produits ou services avec l’influenceur ou prendre en compte ses avis positifs comme négatifs pour améliorer son offre, contribue à une relation de confiance et d’authenticité. Cette transparence rejaillira positivement sur la réputation et les résultats de l’entreprise tout en confirmant la crédibilité de l’influenceur auprès de ses abonnés.

Dans ses publications, il établit un parallèle avec l’approche d’inbound marketing : le message porté par une stratégie d’influence doit se détacher des codes de la publicité traditionnelle, en répondant à 5 C.

  • il doit s’inscrire dans le contexte de la clientèle,
  • apporter une valeur ajoutée à la communauté à laquelle il est destiné,
  • avec des contenus pertinents et de qualité,
  • pour obtenir l’engagement et la collaboration
  • et susciter la confiance qui fera passer le client de l’intention à l’acte.

Ces clés d’engagement doivent également être appliquées en interne auprès des équipes, à tous les niveaux de l’entreprise : ” Les meilleurs ambassadeurs que vous puissiez trouver sont les salariés, qui, la plupart du temps, connaissent le mieux votre entreprise, adhèrent à ses valeurs et à ses produits. Il faut donc impliquer la direction client, les ressources humaines et tous les autres services. Mais en externe comme en interne, cette relation de confiance ne peut s’installer que par une approche de long terme. Soyez patients.”.

Raymond MORIN a également présenté sa vision des “20 tendances du marketing d’influence, d’ici 2020”  en clôture du congress du Com’en or Day :

Raymon Morin est l'auteur de ¨Génération C(onnectée) – Le marketing d’influence à l’ère numérique» (Editions Kawa)

Concilier relations de confiance et professionnalisme

Lionel DAMM, Directeur associé de l’agence On prend un café, accompagne les stratégies digitales des entreprises et notamment les stratégies d’influence social media.

Les réseaux sociaux ont démocratisé la production et la diffusion de contenus. Lionel Damm rappelle qu'”il y a 10 ans, organiser un live sur internet c’était un enfer. Aujourd’hui, n’importe qui peut le faire instantanément et de n’importe où sur Facebook ou autre, et toucher une communauté importante.”. Mais cette possibilité pour tous de communiquer présente aussi des risques : “Ce n’est pas parce que vous pouvez le faire que vous le faites bien. Les “bons” influenceurs sont ceux qui ont un talent et une passion. Il existe des influenceurs qui ont une importante audience mais parlent de 4 produits de la même marque dans la même journée et prennent ainsi le risque de lasser leur communauté. Sur le court terme, ça peut marcher, mais pas sur le long terme.

Du côté des annonceurs, Lionel constate justement que les influenceurs ne sont pas encore suffisamment reconnus comme de véritables professionnels. Pourtant, ils exercent un travail, mobilisent leur audience et, à ce titre, peuvent justifier une rémunération. Mais le flou existe : “Il est possible d’inviter sans rétribution des influenceurs à un événement cohérent avec leur passion et s’attendre à des retombées de leur part. S’ils sont bien choisis, convaincus par le bien fondé du produit et du message, s’ils vivent une expérience positive, ils en parleront. Mais s’ils ne sont pas payés, rien ne les oblige à partager leur expérience“. Face aux nombreuses opérations d’influence organisées sans véritable cadre, il rappelle qu’une rémunération ou un échange exigent aussi de contractualiser la relation et de suivre des règles (recommandations de l’ARPP – Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité), comme dans toute collaboration client-prestataire classique.

En matière de stratégie d’influence, Lionel Damm précise qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise formule. Tout dépend du contexte et du besoin de la marque à ce moment de son histoire : “Il peut nous arriver de conseiller d’investir dans des billets d’influenceurs car l’entreprise a besoin d’une forte visibilité rapidement. Tout comme nous pouvons leur dire que ce n’est pas une réponse adaptée à leur besoin. Avant de se lancer dans une stratégie d’influence, juste parce que c’est la nouvelle tendance, il faut que les marques s’intéressent sérieusement à ce qu’est l’influence et s’appuient sur des experts dont c’est le métier, pour éviter de faire n’importe quoi“.

Il n’y a pas d'”amour” sans histoire

Gauthier DESCAMPS, Co-fondateur de Lille City Crunch, webzine urbain animé par un collectif de blogueurs, qui dénichent les bons plans sorties et lieux à Lille dans des domaines variés.

En tant qu’acteur régional pouvant mobiliser sa communauté au service de marques, Gauthier Descamps souligne une des limites de l’exercice. L’influenceur ou un réseau tel que Lille City Crunch, doit à la fois être ambassadeur de ses clients tout en veillant à maintenir une certaine distance.

D’une part, pour ne pas êtres étiqueté et associé exclusivement à cette enseigne aux yeux de son public, d’autre part pour permettre à la marque de créer sa propre communauté et gagner en indépendance : “Quand nous organisons des soirées pour une châine d’hôtels afin de la faire découvrir à des publics jeunes, nous ne souhaitons pas être vus uniquement comme les organisateurs officiels attachés à cette marque, notre indépendance est aussi un gage de crédibilité. De même, il ne faut pas que ce client devienne dépendant de notre influence. Notre rôle consiste aussi à le conseiller en matière de contenus et de dispositifs pour l’aider à devenir influenceur de lui-même sur le long terme“.

Gauthier Descamps confirme aussi qu’un partenariat de qualité ne peut se construire que dans la durée : “Pour construire de l’affect et un lien durable avec un influenceur, ou plutôt un ambassadeur, il faut prendre le temps de faire sa connaissance, de vérifier que c’est la bonne personne pour porter son message sur les bons canaux“. Et de conclure “Il n’y a pas d’amour sans histoire.”.

Retrouvez tous les temps forts sur la chaîne Youtube du Com'en Or Day

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